La construction de Nusantara, en Indonésie, compte déjà des mois, voire des années de retard sur le calendrier. Qu’importe. Cette ville nouvelle, construite en partie sur d’anciennes plantations de palmiers à huile ou d’eucalyptus, devient samedi 17 août la nouvelle capitale du pays.
Alors que Jakarta, qui reste le cœur économique de l’archipel, s’enfonce sous son propre poids, suffoque sous les nuages de particules fines et subit régulièrement les assauts de la montée du niveau de la mer, Nusantara se veut une ville “verte”, érigée en symbiose avec la nature. Mais ce projet phare du président Joko Widodo pose de nouveaux problèmes. A l’occasion de l’inauguration de Nusantara, franceinfo revient en images sur ce déménagement monstre.
Jakarta s’enfonce, Nusantara s’implante
“Dans certains quartiers au nord de Jakarta, la ville s’enfonce jusqu’à 20 à 25 centimètres par an”, expose Manuelle Franck, spécialiste de la géographie urbaine et régionale de l’Asie du Sud-Est, interrogée sur ce qui cloche dans la mégalopole. Des gratte-ciel, des bretelles d’autoroutes qui s’entrelacent, des constructions à perte de vue, et partout, du béton… Passée de 500 000 habitants en 1945 à 11 millions intra-muros actuellement (31 millions pour son agglomération), “Jakarta est une ville très dense, congestionnée, où il y a des problèmes de logement, d’infrastructures, que ce soit les routes, les transports en commun, l’alimentation en eau…”, explique l’urbaniste.
Le développement express et chaotique de la ville, couplé à l’élévation du niveau de la mer attribuée au changement climatique, provoque des inondations catastrophiques à répétition, comme ici, lors des élections générales de février.
Dans ces conditions, le gouvernement du président Joko Widodo a annoncé dès 2019 son ambition de transférer l’administration indonésienne à quelque 1 500 km de là, au beau milieu de la forêt, sur une île bien plus sauvage que la très densément peuplée île de Java : l’île de Bornéo. Cette capitale du futur rend d’ailleurs hommage, par son nom, à la géographie particulière de l’Indonésie, Nusantara signifiant “archipel”.
Ville-forêt ou simple vitrine verte ?
Plus qu’une ville dans la forêt, la nouvelle capitale, aussi surnommée “IKN”, ambitionne de devenir une “ville-forêt”, selon Nathalie Lancret, coautrice avec Manuelle Franck d’un article à paraître dans la revue Suds consacré à ce projet hors norme. “Le projet prévoit 70% d’espaces végétaux sur l’ensemble de la ville et 50% dans la ville administrative. L’idée se décline à travers des sols perméables, un territoire structuré par des ‘couloirs verts’ et ‘bleus’ qui assurent des continuités aquatiques et végétales à travers la ville, construite en archipel”, détaille l’urbaniste, qui a pu visiter le site au mois de mai. “Il prévoit des circulations douces, une architecture écologique, sur le modèle du biomimétisme [inspiré de la nature]“, liste-t-elle encore, décrivant un modèle qui se développe dans les mégalopoles d’Asie et d’Asie du Sud-Est.
Sur les toits des quelques maisons déjà debout, les premiers panneaux solaires apparaissent. A terme, la ville souhaite tirer 100% de son énergie de sources renouvelables, surtout du solaire et de l’hydraulique. Pourtant, “ce que l’on a pu voir des quelques maisons que nous avons pu visiter, c’est qu’elles ne se présentent pas comme des modèles de maisons écologiques”, nuance Nathalie Lancret.
Béton, faible ventilation naturelle, recours à l’air conditionné, etc. “Sans présager des performances des futurs bâtiments, on peut rester relativement dubitatif sur les performances écologiques de ces habitations”, conclut-elle. D’autant que, bien qu’elle se soit engagée à baisser ses émissions de gaz à effet de serre, l’Indonésie reste un des plus importants producteurs de charbon, l’énergie fossile la plus néfaste pour le climat, loin devant le pétrole et le gaz.
“Il semblerait que le coût environnemental de la construction ne soit pas réellement pris en compte, poursuit Nathalie Lancret. On peut donc penser que la ville affichera un bilan carbone positif, mais la question est plutôt : dans combien de temps ?”
Un chantier massif sur un territoire vulnérable
Au moment d’inaugurer la ville, l’archi-centre de la cité administrative est sorti de terre. “Les quatre principaux ministères coordonnateurs, le palais du président et quelques éléments architecturaux singuliers seront partiellement terminés, quelques maisons dédiées aux ministres aussi”, énumère Nathalie Lancret.
Déménager le pouvoir de l’île de Java, la plus peuplée, à celle de Bornéo relève davantage de la décision politique et stratégique que de la seule contrainte climatique. Mais ce choix d’une capitale isolée nécessite de développer des infrastructures gigantesques dans une zone particulièrement fragile, alertent les associations de protection de l’environnement.
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Rencontrés en mai par une journaliste de France Culture, des membres des communautés locales ont fait part de leurs craintes d’être un jour expropriés, ou de devoir renoncer à leurs activités de pêche. Le barrage construit pour alimenter la future ville en eau a modifié le niveau des rivières. “Il y a des inondations qui sont liées au chantier”, note Manuelle Franck. “Les villages qui bordent les routes sont couverts de poussière en raison du passage continu des camions”, poursuit-elle, citant aussi l’excavation des minerais (dont le précieux nickel) et l’arasement des collines, initiés dans le cadre de ce chantier titanesque.
Entre 2018 et 2021, “la déforestation dans la zone du projet a atteint 18 000 hectares”, a dénoncé en mars l’ONG Forest Watch Indonésie, “dont 14 000 hectares de forêt de production”.
En d’autres termes, une grande partie de la forêt ici déboisée “avait déjà été transformée par des grands projets de plantations de palmiers à huile, des concessions minières, explique la géographe Judicaëlle Dietrich, spécialiste de l’Asie du Sud-Est. Evidemment, implanter une ville, ce n’est jamais neutre du point de vue environnemental.”